L'un et l'autre réalisent, chacun dans son domaine, la nécessité d'une autorité collective pour désigner les règles du bon usage et pour enrichir le vocabulaire de tous les termes qui font encore défaut à la langue pour qu'elle puisse devenir une langue de communication moderne.
Cependant cette idée resta longtemps sans se concrétiser faute d'avoir trouvé dans les autorités politiques une oreille intéressée.
En 1967, un incident va entraîner une attitude différente chez le Gouverneur Sicurani. En effet, le 22 février 1967, le Conseiller Territorial John Teariki ancien député de la Polynésie Française, sollicite, conformément à l'arrêté du 11 décembre 1932, l'autorisation de faire paraître un hebdomadaire de langue tahitienne et se la voit refuser. Cette interdiction motivée sans doute par des considérations politiques plus que par une hostilité à la langue tahitienne, n'en provoque pas moins une émotion considérable.
Le 25 avril 1967, la Commission Permanente de l'Assemblée Territoriale demande, à l'unanimité, l'abrogation du décret sur la presse. Le 29 mai, en session plénière, l'Assemblée réitère la demande de sa Commission Permanente, réclamant que le Président de la République soit saisi de cette affaire.
" L'Affaire " n'intéresse probablement que très médiocrement les autorités supérieures de la République. Le Gouverneur Sicurani s'aperçoit qu'il a blessé la susceptibilité publique et sans doute éprouve-t-il le besoin de montrer qu'il n'a pas été guidé par des intentions malveillantes à l'égard du tahitien. En effet, le 23 août 1967, John Teariki, qui n'a pourtant pas renouvelé sa demande, se voit accorder ce qui lui avait été refusé au mois de février, et le 30 août, le Conseil de Gouvernement approuvait le principe de la création d'une " Académie de la Langue Tahitienne ".
Ce projet rencontra malheureusement bien des obstacles et la délibération 72-92 qui créait l'Académie Tahitienne ne fut votée que le 2 août 1972.
Quelques jours après, la commission de désignation prévue par l'article 2 se réunit et établit la liste des 20 premiers académiciens. Pourtant la délibération de l'Assemblée Territoriale ne sera rendue exécutoire que le 15 juin 1973, près d'un an plus tard par arrêté n° 2020 et il faudra attendre encore une autre année pour que le gouverneur convoque l'Académie.
Le mardi 2 juillet 1974, le Gouverneur Daniel Videau présidait, dans la salle du Conseil de Gouvernement, la séance inaugurale de l'Académie Tahitienne. Ainsi s'achevait un processus de sept années, entamé le 30 août 1967 par l'approbation en Conseil de Gouvernement du principe de la création d'une Académie de la langue tahitienne.
Les textes officiels qui l'instituaient avaient laissé à l'Académie le soin de rédiger ses statuts. C'est ce qu'elle fit dans les premières séances, rédigeant aussi dans la foulée son règlement intérieur. Les statuts furent soumis à l'Assemblée Territoriale qui les accepta le 5 décembre 1974 (délibération n° 74.178, rendue exécutoire par arrêté n° 294/AA du 16 janvier 1975, publié au journal officiel le 22 janvier 1975).
Samuel RAAPOTO
L'Académie n'avait pas de local. Le Président Raapoto qui était l'un des académiciens lui offrit l'hospitalité au siège de l'Eglise Evangélique. C'est dans ce local prêté par l'Eglise Evangélique que débutèrent les travaux à partir du mois de septembre 1974.
Te tahi fare vāna'a
L'Académie se choisit un nom tahitien, après quelques discussions, elle retint celui de "Fare Vāna'a".
Le nom de Fare Vāna'a, sous lequel la nouvelle institution culturelle a choisi d'être désignée en langue tahitienne, rappelle une institution des anciens villages polynésiens.
Il n'existait pas d'écoles, mais la jeunesse se rendait au fare vāna'a ou fare vānaga où des vieillards l'instruisaient des légendes de l'île ou du district, des généalogies des chefs.
En mémorisant les traditions de leurs peuple, les jeunes apprenaient également le beau parler.
Premiers membres de l'Académie - Fare Vāna’a
De gauche à droite :
Assis : Pasteur Samuel Raapoto, Geneviève Clark-Cadousteau, Elie Salmon, Marc Tevane, John Martin, Willy Lagarde, Père Hubert Coppenrath
Debout : Roland Sue, Ame Huri, Paul Prévost, Rosa Klima, Paul Langomazino, Antonina Peni, Flora Devatine, Yves Lemaitre, Alexandre Holozet, John Doom
Absents sur la photo : Françis Sanford, Joseph Kimitete, Raymond Pietri
Démissions, décès, élections
Au fil des années, le visage de l'Académie s'est modifié. Parmi les 20 premiers académiciens, trois ne tardèrent à donner leur démission en 1978 : Messieurs Joseph Kimitete (3 avril 1978), Francis Sanford (11 avril 1978) et Paul Langomazino (9 décembre 1978), un en 1982 : Monsieur Paul Prévost (17 novembre 1982) et un en 1986 : Monsieur Alexandre Holozet (29 septembre 1986). D'autres furent emportés par la mort : D'abord le Président de l'Eglise Evangélique, Samuel Raapoto (juin 1976) suivi de son remplaçant Victor Teriierooiterai (10 octobre 1984), de Monsieur Elie Salmon (1 mars 1994), de Madame Antonina Peni (20 juillet 1999), de Monsieur Roland Sue (18 janvier 2000), de Madame Geneviève Cadousteau-Clark (19 décembre 2001), de Monsieur Willy Lagarde (21 décembre 2001) et de Madame Rosa Klima (2 décembre 2002)
Pour prendre la place de ces disparus l'Académie élit Myron Mataoa (1978), Jessie Poroi (1978), Pasteur Arapari Paparai (en 1979), Patua Coulin (1983), Duro Raapoto (1983), Simone Hargous (1986), Louise Peltzer (1998), Winston Pukoki (2000), Johanna Nouveau (2000), Voltina Dauphin (2002), Etienne Chimin (2002), Denise Terorotua (2003)
To'ohitu
L'Académie est administrée par un bureau de sept membres, To'ohitu, élus pour un an, qui sont : un Directeur, un Chancelier, un Secrétaire, un Trésorier, trois Assesseurs.
Le premier Toohitu de gauche à droite: Mgr Hubert Coppenrath,
..???... Marc Tevane, John Martin, NedoSalmo
Assise: Geneviève Clark-Cadousteau
Premiers travaux
De gauche à droite : Yves LEMAITRE, Paul PREVOST,
Alexandre HOLOZET, Samuel RAAPOTO,
Raymond PIETRI, Roland SUE et John MARTIN
Ayant réglé ces formalités administratives, le Fare Vāna'a put se mettre au travail.
Ce qui apparut le plus urgent était la rédaction d'une grammaire. Beaucoup de gens prétendaient qu'il n'y avait aucune règle grammaticale en tahitien et les règles implicites transmises par les anciens étaient souvent oubliées par les jeunes locuteurs.
La commission de la langue fut chargée de rédiger un projet de grammaire qui était soumis chapitre par chapitre à l'assemblée plénière. En fait on s'aperçut bien vite que sous peine de voir les travaux se prolonger indéfiniment, l'assemblée plénière devait se contenter d'arbitrer les questions les plus difficiles, quand il n'y avait pas unanimité à la commission de la langue. On peut dire cependant que la quasi totalité des membres du Fare Vāna'a a participé à l'élaboration de la grammaire.
Le projet terminé et approuvé en première lecture, la commission de la langue procéda à une seconde lecture puis à une troisième. Enfin après plus de 10 ans de travaux, le manuscrit fut déposé chez l'imprimeur et la grammaire parut en décembre 1986.
Il s'agissait d'un ouvrage de 434 pages de format 21 x 29 cm., tiré à 3.000 exemplaires.
Tout en poursuivant la rédaction de la grammaire, l'Académie dut faire face à des demandes qui lui étaient adressées pour aider l'enseignement du tahitien dans les écoles.
C'est ainsi qu'en collaboration avec le Service de l'Enseignement, elle rédigea "Ta'u puta reo tahiti" manuel scolaire pour les classes de CM1 et CM2, ainsi que "Hei pua ri'i", séries 1 et 2, recueils de morceaux choisis à l'intention des classes du second degré.
L'Académie était aussi pressée par différents services publics de définir les termes tahitiens nécessaires pour que ces services communiquent avec le public de langue tahitienne. Il s'agissait en général de termes nouveaux qui n'avaient pas encore d'équivalents dans la langue locale. Cette requête amena la publication d'un "Petit lexique du vocabulaire technique".
Dictionnaires
La grammaire publiée, l'Académie put enfin se consacrer à la compilation d'un dictionnaire Tahitien-Français, tout en préparant celle d'un dictionnaire Français-Tahitien. Là encore, les travaux durèrent plus de 10 ans, mais dans le milieu de l'année 1999, ce dictionnaire de 576 pages toujours du format 21 x 29 cm parut et remporta d'emblée un très grand succès. En effet, l'Académie doit le rééditer pour la deuxième fois, près de 5.000 exemplaires ont déjà été vendus.
A partir de 1999, la commission de la langue s'est attelée au dictionnaire Français-Tahitien. Il s'agit d'un travail très différent de celui qui avait été mis au point pour le dictionnaire Tahitien-Français. Beaucoup de termes français n'ont pas d'équivalents tahitiens, il faut donc proposer des mots ayant des significations voisines ou créer des mots nouveaux car ce dictionnaire ne pourra être vraiment utile que s'il permet d'établir un large pont entre les deux langues afin d'habituer les Polynésiens à être capable d'exprimer en tahitien ce qu'ils peuvent dire en français.
En 2017, l’académie a publié un deuxième dictionnaire Tahitien / Français un peu plus complet que celui de 1999 et sous un format différent.
L'internet devrait pouvoir faire profiter de ces travaux ceux qui recherchent la traduction en tahitien de mots français avant même que la compilation soit complètement terminée (voir notre
dictionnaire en ligne).